Il y a les objets eux-mêmes, ces coiffes que vous découvrez sur ce site. Et il y a ce qu'on pressent derrière les objets, ce en quoi ils nous appellent vers l'ailleurs, ce qui en eux nous interroge, nous aide à mieux penser. Les coiffes sont aussi un chemin de rêves et de réflexions.

Des images dans la mémoire

Imaginez. C'est dans le temps d'avant, celui des villages florissants, le temps des labeurs saisonniers, des fêtes aussi ensemble, des foires, le temps gonflé des jeunes filles sur les places, des jeunes hommes au grand air.

Villiers-couture, champanais grande cérémonie

C'est vous peut-être, en ce temps dont on ne sait plus aujourd'hui que des bribes, êtes-vous assis sur un talus dans l'ombre des frênes de l'été, c'est un jour de fête, de repos, de répit dans le rythme dur des champs, êtes-vous assis ou debout près d'elle, avez-vous peur, le cœur serré dans l'angoisse du désir ? C'est vous certainement, vous vous dites que vous ne savez pas les bonnes manières, vous êtes penché vers elle, vous voyez tout près dans la lumière et la blancheur douce du cou et ce frémissement de la dentelle qui remonte vers ses cheveux. Vous approchez les doigts, vous touchez doucement ces mille rondeurs du tissu, c'est tout près de la peau, c'est fragile et lumineux comme elle, c'est si proche de l'été...

Elle a senti ce rêve en vous et qu'elle en est la source, elle se dégage, elle part en riant, vous voyez ces deux rubans qui volent dans sa silhouette – est-ce eux qu'on appelle “ Suivez-moi jeune homme ” ? - vous la suivez bien sûr, c'est le jeu des corps qui s'appellent, qui se cherchent, vous voyez ce sourire, et cette ligne si mince qui fait courbe et rondeur encore à son visage, elle se tourne, et la dentelle encore sur le bleu du tissu, et ce nœud comme un amas lourd en vous... Le corps chavire, vous rêvez de cheveux entre vos mains, qui feraient à la lumière des rivières...

Voilà, c'est aujourd'hui, vous avez cette coiffe sous les yeux, sait-on si l'on pouvait en ce temps des désirs aux villages “ décoiffer ” les jeunes filles ? Vous voyez le bleu très doux que le semis de dentelle recouvre, vous savez bien que l'on pourrait inventer mille histoires de rencontres, mille rêves amoureux que ces objets ont su tisser. Vous continuez votre songe, vous vous sentez jeune pour l'éternité, parcourant d'un seul trait toute la nostalgie amoureuse du monde.


L'architecture, les lignes...

Alors, vous revenez vers ces objets, vous savez bien qu'il n'y a pas de magie, et vous cherchez en eux comme vous le feriez d'un édifice ou d'une peinture ce qui fait leur puissance, ce qui suscite l'émoi. L'architecture d'abord, les formes dans l'espace : les coiffes n'épousent pas le visage, on a mis en elles quelque armature souple qui s'érige au-dessus de lui, qui le prolonge. Formes multiples, parfois juste un cercle ou un carré, parfois une hauteur aux angles brisés, ou un relief arrondi. La structure de la coiffe ainsi fait le signe du territoire, de l'appartenance, elle dépasse chaque visage, elle l'englobe mais ne l'efface pas, et le visage ainsi porteur d'un style devient emblème, à la fois intensément lui-même, magnifié par la forme qui l'enveloppe, et tout autant fondu dans la communauté, la peuplant de son identité et de ses différences.

Exireuil, malvina grande cérémonie

Car chaque coiffe, aussi, est unique. Au-delà des déclinaisons – les coiffes de cérémonie, de tous les jours, de deuil – chacune est singulière. Le jeu des lignes par exemple, qu'on voit le mieux sur les coiffes simples, fait voir un extraordinaire équilibre visuel entre les élancées verticales et la stabilité horizontale. Les plis sont variés, fins ou larges, ils se resserrent ou se déploient, épousant avec souplesse les arrondis de la coiffe, affirmant sa silhouette globale dans l'espace, tout en lui donnant une fragilité bien humaine. On sent bien que les plis lentement ouvragés pourraient à l'instant s'effacer, et rendre le tissu à son insignifiance.

Couhé-Vérac, pantine de grand deuil

Reste encore la complexité de l'objet, qu'on découvre quand, partant des multiples éléments épars – cartons, dentelles, rubans... - on refait le chemin du montage de l'objet. Tout ceci s'organise, tient de la rigueur et de l'improbable à la fois, un peu comme tout être vivant. Tout ceci requiert de la ténacité, du talent. Et cette complexité de mise en œuvre donne à voir un objet lui-même dense, qu'il faut regarder aussi pour lui-même. Comme souvent l'œuvre d'art, la coiffe entraîne le vertige du regard, elle multiplie les niveaux de lecture, d'un détail des dentelles dans l'incertitude du vide et du plein, aux interactions des lignes avec les courbes du visage, des couches superposées de tissus, de transparences, aux assemblages précis des rubans.

Sans doute faut-il prendre un peu de distance dans la mémoire, se débarrasser de la connotation folklorique qui peut encore entourer ces objets, se concentrer sur eux. Alors peut-être on comprendra, qu'au-delà de leur rôle dans la séduction, dans l'identité, il y a là un univers de création partagée, qui a fait, le temps d'un siècle à peine, profondément culture.