C’est à l’hôpital, dans le dédale des couloirs, au travers des portes qu’on pousse, l’hôpital, c’est un univers étalé, anonyme, aux repères flous.
L’on attend longtemps, dans une salle où passent des femmes et des hommes menant des chariots, où se côtoient des soignants et des soignés, dans la rumeur imperceptible du silence.
Elle m’appelle, je la suis, dans les couloirs encore, “ je suis l’infirmière, dit-elle, je vais faire votre examen ”, on entre dans une pièce, la lumière vient abondamment du dehors, il y a un bureau, un lit bordé d’une machine avec écran, boutons, câbles… “ Je vous explique et on commence... ” Elle dit deux ou trois phrases, je vois soudain qu’elle est jeune, qu’elle a la voix douce, tout habillée de blanc comme son corps, sauf ses chaussures fluo, conséquentes, confortables sans doute.
Elle m’installe sur le lit, commence ses gestes précis, mais avec une certaine distance, presque un peu de douceur. Elle dit : “ Ne bougez pas, et dites-moi... ” Je la laisse faire, corps à moitié abandonné aux mains expertes, elle change souvent de gants, “ toussez, s’il vous plaît… plus fort... ” La machine génère ses graphiques. Après un moment, “ je vois où est le problème ”, dit-elle. L’examen continue, elle me prévient : “ ça va être un peu désagréable... ” Elle se penche vers moi, je la sens attentive à ma douleur, je vois sa patience et sa distance, une sorte de relation très provisoire qui se noue et va se défaire très vite. Et durant ce temps fragile, un mélange de proximité intense et d’univers très éloignés, le sien, où je sens les règles à suivre, la procédure, tout un protocole établi, et parmi ces règles, la connivence mesurée qu’elle doit instaurer avec moi qui suis là, baigné de mes propres angoisses, de ce que je ne sais pas. Et pourtant, par instants fugaces, se tisse un lien d’humanité – est-ce le balancement mesuré de ses gestes, l’intonation de sa voix qui laisse parfois une part à l’indécis, presque à l’imaginaire ?
Je pense à ses journées qu’elle passe ainsi à tenter d’apprivoiser le corps des hommes et leurs questions, leurs incertitudes sur les maladies qui les traversent, à ces tâches éprouvantes où l’on ne sait sans doute pas toujours où se situer dans le dialogue, entre les gestes tant attentifs, si précis, et les regards bienveillants que ceux qu’elle examine appellent.
Quand tout est fini, je lui demande : “ Vous avez dit que vous aviez vu où était le problème... ” Elle prend les graphiques que la machine a imprimés, me les montre, elle dit : “ c’est là ”, je vois sur les traits rouge et bleu un saut dans le tracé. Elle m’explique un peu, je ne comprends pas tout, je n’ose pas lui en demander plus, je la remercie. Elle me reconduit à travers les couloirs dans la salle où d’autres gens attendent.
Écriture le 14/11/24