Le Moyen Âge en lumière

C'est d'abord un couloir dans l'ombre, large et long, où le regard se perd dans les hauteurs sombres des charpentes. Vous marchez.

On a mis là, pas à pas, des voiles minces avec comme des emblèmes à hauteur de regard, figures qui s'interpellent et se mêlent à votre respiration, vous marchez.

Et puis d'une aile à l'autre, vous entrez dans ce qui fut le grand dortoir des moniales autrefois, et c'est l'ampleur des voiles maintenant qu'on éprouve, chacun souple et vertical, précaire et sobre, comme si ce qu'on allait dire ici procédait de la douceur déterminée d'un nuage, comme s'il fallait, dès le seuil, approcher l'incertain, l'improbable, tout autant qu'une rigueur dense.

Vous entrez, vous avancez vers la genèse du monde, des images vous attirent, vous êtes comme dans une nacelle de toile, presque en apesanteur avec quelques voisins assis comme vous déjà fascinés par ces fragments d'un monde qu'on met à la lumière. Il y a de la musique, de maigres bruits comme en symbiose avec les images l'une après l'autre. Et puis vient une voix, qui dit la création du monde, ou l'espace et le temps, ou la connaissance des hommes. Et la voix parle simplement comme les images c'est un murmure presque, et ce monde d'avant vient à vous dans l'évidence d'un dévoilement retrouvé, où les images et les paroles s'abreuvent entre elles. Et vous vous demandez soudain d'où vient cette lumière bienfaisante, de ce que vous vivez aujourd'hui et qu'on a su rendre cohérent là et maintenant, ou de ce temps lointain où les images disaient la langue.

Vous avancez encore vers d'autres nacelles qui disent les travaux, les saisons des hommes, qui montrent l'invisible et de proche en proche tressent et tracent des repères, des moments d'images où le corps et l'esprit boivent ensemble.

Et cela fait un murmure global, comme un livre qu'on aurait écrit à la lueur des manuscrits anciens et qui serait dans sa cohérence d'aujourd'hui en accord sublime avec eux. Vous êtes au centre de l'espace, la parole et les images ont laissé place aux objets, et vous avez sous le regard ce vieux livre élimé, et sur la page cette écriture que vous ne comprenez pas, et cette scène où le vieux maître dicte à son disciple.

Vous avancez encore s'il se peut, en vous-même, dans cette zone inquiète de la multiplicité des mémoires, nouvelle image et même signe, cela qu'on transmet, voici la parole, la couleur et le trait.
Ce n'est qu'un peu plus tard encore – presque au terme du parcours – que vous prenez conscience des autres comme vous qui font ballet dans le silence d'un espace à l'autre. Vous avez dansé près d'eux, de nacelle en nacelle, comme si la symphonie des présences d'images avait ouvert un autre champ, plus intime, où les corps, recueillis sans doute plus qu'à l'accoutumée dans un tel lieu, se seraient reliés presque.

Alors longtemps, dans la géométrie retrouvée du cloître en contrebas, vous ferez les pas qui rassurent, avec en creux comme de l'incandescence, entre chair et silence.

 

À propos de l'exposition "Le Moyen Âge en lumière", sous la direction de Jacques Dalarun, à l'abbaye de Fontevraud, été 2003

Écriture mai 2021