Qu’ai-je à puiser ?

Qu’ai-je à puiser dans le lointain du temps qui ferait comme une eau claire pour ces temps-ci des vies ?

Qu’ai-je à puiser dans ces gestes, mon père dans ses couleurs et ses pinceaux, qui recouvre les murs, quêtant dans l’inlassable la beauté du monde ?

Ma mère cousant dans la lumière les robes des jeunes femmes, tirant ses fils, coupant la forme dans le tissu. Et moi qui la regarde dans le bonheur de ce qui naît.

Et plus loin encore, dans les premières bribes d’images qui me restent, mon grand-père et ses chansons toujours au coin des lèvres, et c’est une pluie de fleurs dans le jardin.

Et puis encore, il faudrait tendre un filet vers ce passé perdu, vers ce que j’ai appris, les grands récits, des contes de l’enfance aux philosophes des anciens siècles, des imagiers de toute sorte aux anciens paysans humblement griffant leur terre.

Et tant d’autres visages, tant d’autres œuvres, tant d’autres paysages humains, ton amour près de moi. De quoi suis-je fait, qui ne soit pas ces couches emmêlées des mémoires tant et tant multipliées qu’on ne sait plus les séparer ? Les vies parcourent ces mémoires, qui font aux jours la nourriture du nouveau.

Ainsi, le terreau lentement dissous que la saison nouvelle recompose. Il n’y a pas de vie sans cette mort très lente des souvenirs, pas de vie sans la mort, qu’ai-je à puiser dans ceux qui ne sont plus, qui font encore le mouvement de l’amour, ou cette offrande à la douceur printanière, quand on sait bien tout le possible du vivant.

Qu’ai-je à puiser au loin, dans le temps, dans l’espace, sans que je sache au fond ce que je transforme, ce que je donne à voir à peine autrement ? Sait-on, même en l’effleurant de tendresse, de toute la ferveur en soi rassemblée depuis l’enfance, la pertinence de la parole tissée dans les jours ?

Écriture 19/12/2021