Les mots qui disent
entre les mots
l'humanité
l'amour s'il se peut
au gré du monde

Les mots
qu'on ne dit pas
qui nous traversent
criblant les corps

C'est un jour, dans la jeunesse,
les paroles péremptoires, à jamais tout ce qu'on dit
plus près de soi, plus près du monde

on est monté dans une salle
presque défaite, objets en lambeaux, rumeur des jeunes gens,
les échos évanouis de la ville
la ville qui fait au coeur comme un désert
on attend sans trop savoir, assis,
paroles qui ricochent
d'un corps à l'autre

Quelqu'un se lève
comme on respire
et l'on entend soudain
comme des âges si lointains du corps
qui viendraient à la lumière

On écoute, coeur et corps dans l'évidence des mots
sans trop savoir quelle est cette ferveur qui traverse
les autres et soi, l'air, le silence
on boit à cela, la naissance absolue
dont on sait, bien plus tard,
qu'elle fera l'éclat d'une vie
celui qui s'est levé chante
et c'est quelque part comme l'âme du monde
à travers soi l'allégresse, des pages d'éternité

C'est dans la jeunesse un soir on rentre tard
dans les petites rues de pluie
vers cette chambre près du canal

Le sommeil ne viendra jamais sur cette vie,
lampe allumée, sans vieillir
on restera comblé toujours, parole après parole
parmi les objets en lambeaux
au bord des routes, des désastres, des années
l'âme du monde malgré tout, cela
qu'on porte sans comprendre
et qu'au bout du souffle encore le souffle
inépuisé

Et c'est comme en un lieu d'un autre pays
plus proche en vous dans l'évidence,
un amour, la présence dont on ne saura rien,
des territoires en soi jusqu'au vertige

Les années comme un jour posées sous le regard
on ne questionne rien il y aurait trop de douleur
on va on a plié dans soi les rêves contre les saccages l'amour brûlant les visages
ce qui la nuit
fait le battement du chant
comme là-bas, lointainement
les paroles de la jeunesse

 J'ai rencontré Jacques Bertin en 1965. Dans une salle un peu sombre au-dessus du restaurant universitaire où nous étions quelques dizaines d'étudiants, il s'était levé, et tous nous avions bu à cette sorte de naissance absolue du chant. Il a, depuis et constamment, été un de ces jalons lumineux qui m'ont aidé à vivre. Ce texte lui est dédié.

Voir le site de Jacques Bertin