Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Voussure du portail
Foussais
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

La saison revenue des oiseaux
comme un bienfait sur le monde

la huppe, le coucou, les merles, bientôt le rossignol
toutes les musiques et la poussée des sèves,
des fleurs au verger
et des légumes sur la terre
tout ce qui fait la ténacité des vies perpétuées
offertes au soleil,
et leur fragilité, les évidences qu’on voit des saisons
mais de les vivre à même la terre
dans la trame du village
change tout du bonheur ou du malheur de ce monde
ici tout à portée de main.

Et la fragilité nous blesse chaque année plus encore
quand gagnent les jours de sécheresse
et que se défont trop tôt les chants des oiseaux.

Parce que le temps nous est compté,
le nôtre et peut-être celui de l’humain,
nous aimons d’autant plus cette saison qui revient
comme si tout était nouveau,
et la mémoire des violences à la terre et à l’homme
se serait en allée,
comme si tout redevenait possible,
du moins le croit-on, juste un instant
quand le chant et le vol de la huppe se conjuguent devant nous,
par vagues,
dans une sorte de grâce indicible.

Quand les jours s’allongent en mai,
le troubadour chantait son amour au loin,
au XIIe siècle, l’amour dit-on s’inventait sur le monde,
ou du moins sa parole
à côté des guerres continuelles.

Qu’inventer aujourd’hui,
d’un amour plus commun, plus étendu,
qui donnerait à la saison nouvelle
un sursaut continu d’humanité ?
Qu’inventer au sein de nos pouvoirs
de nos techniques, de nos actes et regards,
qui jugulerait l’absurdité de la mort ?

Écriture 18/04/23

Au village, nous sommes à nus avec la terre. Les maisons donnent sur le paysage, on passe du vent ou du soleil à ce qui nous en protège.

Dans l’instant. Le paysage fait des maisons son enfance. Certaines sont bien érigées côte à côte, mais toutes respirent par elles-mêmes, elles se mesurent directement à l’espace. Chacune est aussi singulière que les gens qui l’habitent, à cause de sa mémoire, de sa vieillesse, de ce qu’on a perdu d’elle au cours du temps mais qui la marque encore. Là une cour, ici un quereux comme on disait autrefois, l’enclos d’une maison, son empreinte, pourraient se décrire comme les ajouts de chaque génération, depuis des siècles sans doute, si l’on savait discerner dans la manière des pierres ce que furent les contraintes et les envolées de chaque vie.

Plus que des routes, ou mêmes des rues comme on les a récemment baptisées, il y a au village des chemins pour l’accès aux maisons, anciennes façons de se mouvoir dans la maigre communauté, anciennes façons de longer l’ombre et la lumière, de s’isoler, de partager. Et les chemins parfois se dissolvent dans l’herbe, quand on ne les fréquente plus assez, ou qu’on a délaissé les maisons qui les côtoient. Les chemins meurent d’un manque de relations, d’un manque d’amour peut-être. Le village est un lieu de la vie qui se maintient, s’agrandit parfois, parfois s’éteint.

La vie, des femmes et des hommes à même la terre, qui tentent de continuer de tisser leurs jours entre eux, au mieux, à l’insu le plus souvent de cet abîme qui les guette. Tous à peu près se connaissent au village, de près ou de loin, tous se souhaitent le bien du jour, sans pour autant partager les mêmes désirs, les mêmes volontés. Cela fait comme des rouages entre eux, distendus peut-être, mais réels encore. Et chacun se demande ce qui se passerait en cas de catastrophe, de l’aide entre eux. Chacun se dit que c’est une sorte de miracle, un village ainsi, qui se tient encore, entre le bonheur des siens et toute la pesanteur du monde.

Au loin, à quelques kilomètres, le bourg, là où le bien commun s’institue en commune, là où c’étaient les rassemblements des foires autrefois et des commerces. Qui aujourd’hui se meurent l’un après l’autre, même si quelques héros du quotidien brûlent encore d’une ardeur émouvante contre ce que les sages disent inéluctable. Maisons du bourg bien plus dépareillées que celles du village, qu’on a récemment tentées d’organiser. On s’emploie à planifier, optimiser l’espace dit-on, tracer des voies. Mais la volonté seule ni la raison ne suffisent, on aurait besoin de bras nouveaux, on ne sait plus faire comme avant le bien commun. Ce qui semble désuet maintenant et qui pourtant tenait ensemble dans l’impalpable. Le bourg a perdu presque toutes ses images, tout ce qui le rendait désirable, il lui reste les mouvements mécaniques du temps. Le bourg survit, tout comme les villages, en attente de quel défi où les visages se rapprocheraient, dresseraient un rempart contre la folie du monde.

Écriture le 30/01/23