Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Voussure du portail
Foussais
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

Dehors, les enfants jouent
parmi les fleurs et la lumière d’avant-printemps,
et leurs visages donnent de la lumière au monde,

ils nous détournent des malheurs,
c’est devant la maison et l’horizon,
l’univers éclairé qui ondule.
Et l’on s’y plonge soudain,
les gestes de l’enfance ont des puissances
qu’on ne soupçonne pas,
ils nous emplissent d’avenir,
malgré le lourd charroi répandu de la haine.

Ou bien, c’est dans la lumière encore
la robe jaune que tu portais autrefois,
je te regarde et ton visage
écrit l’unisson de tous les bonheurs,
et tout le jardin semble transfiguré,
plus léger dans son rapport à l’air,
comme garant désormais d’une profusion inaltérable.

Ou bien encore des milliers d’instants,
la vie nous fait des signes fugaces,
comme des appels insensés
à l’éternité,
à ce qui nous irrigue et nous dépasse,
la vie, si tenace et précaire,
qui parfois nimbe tout l’empan du regard,
infuse en lui une présence, la différence émerveillée
de tous les gestes de l’enfance.

Ce n’est qu’après, bien après
ces moments fulgurants
que la mémoire a retenus
comme la densité la plus intime,
qu’on les retrouve, au hasard,
quand la lumière à nouveau fait signe,
que l’enfance frappe avec insistance dans le désert du monde,
et qu’on cherche encore les chemins d’évidence.

Écriture le 03/12/24

Le jardin de l’enfance où je cueillais les cerises et les fraises frappe légèrement à l’ouverture de la mémoire.

Petites plates-bandes des fraisiers : au début de la saison, je vais voir tous les soirs si les fruits deviennent blancs, puis roses, ma mère me défend de les manger, je voudrais bien pourtant, je voudrais retrouver cette saveur de l’an d’avant. Les fraises mûres sont comme un signe indicible de la bonté du monde. Et tous les fruits sont ainsi, même les cerises aigres tant acides, on leur pardonne, à cause de leur beauté, de leur reflet dans la lumière.

Le jardin de l’enfance, c’est la guirlande du bonheur, des découvertes à foison – la différence entre l’abeille et la guêpe, entre les chants d’oiseaux qu’on tente de suivre dans l’air. C’est l’espace de ce qui grandit, des mains et des outils qui brassent la terre juste ce qu’il faut pour que ce qu’on sème pousse et s’épanouisse. C’est une ribambelle à jamais peuplée des sourires de ceux qui le traversent, qui s’y adonnent.

L’enfance ne se lasse jamais de cette évidence première de la vie, ce qui naît de la graine, entre la pluie et le soleil nécessaires, l’enfance boit au vivant qui va le nourrir si longtemps, l’enfance ne sait pas les blessures du temps, ni les faiblesses du vivant, ni ses luttes. Elle n’obéit qu’à la lumière, elle ne sait voir que l’harmonie, l’équilibre, le mouvement des fruits merveilleux.

On ne sait pas quand l’enchantement prend fin, ni pourquoi. Quand la répétition des jours cogne tant sur le corps que son appétit pour l’amour du monde se lézarde. Quand on ne peut échapper à l’horreur qui court, qui rattrape tôt ou tard les hommes impuissants.

Impuissants devant la haine, l’absurdité des douleurs et des désastres infligés à la terre, notre matrice, notre mère. On se cramponne à nos propres amours comme on peut, on ne sait pas les prolonger plus loin que nous, que notre jardin. On se dit que si tout le monde regardait vraiment le lent mûrissement des cerises et des fraises, chaque soir, comme l’enfance absente de la guerre, l’avenir du monde deviendrait plus léger.

Écriture le 01/06/24