Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Voussure du portail
Foussais
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

Est-ce l’usure de la mémoire
quand l’âge avance,
est-ce l’usure de soi ?

On se retourne,
et le chemin des vies s’est blanchi sous le temps,
tout s’est réduit
comme si le corps s’éloignait lentement du monde,
le rendait minuscule
au bord de la rupture.

J’ai porté des amours en moi
sans que cela se voie toujours
j’ai porté des amours plus légers que la terre,
que reste-t-il d’eux-mêmes
dans ce qu’on tient en soi,
amours de toi, des paysages, des gens,
amours des contrées, des mots,
de tous ces visages qui sont passés,
tout ce qu’on entasse comme un trésor
sans même le savoir,
la mémoire agit en arrière de soi,
elle nous laisse l’incertitude, le bruit,
l’indécidable de ce qui passe entre nos doigts
qu’on nomme la vie peut-être,
les temps radieux qui nourrissent les âmes,
les émotions qui déplacent les corps.

Sait-on bien où l’on va,
ce qui se tisse au tréfonds
avec ceux qu’on aime ?
Les mains se croisent dans la tendresse,
on ne sait d’elle que le geste
et ce qu’elle brasse en soi,
le temps s’effrite
on s’imaginait le savourer,
il fuit, se désagrège
se réfugie dans la mémoire,
loin, tout proche
de l’imaginaire incandescent.

Écriture 22/05/24

Laisser venir l’instant des mots, celui qui jaillit très loin de la mémoire, peu importe d’où vient la lumière, comment se dessine le paysage, peu importe l’instant, du moment qu’il s’est offert à nouveau, après de longues années, perdu dans les méandres de soi-même.

C’est par exemple en bas du bourg, dans le grenier, chez grand-père et grand-mère, ce mélange indéfinissable d’odeurs et de poussière, d’objets que je ne connais pas et de vieilles gravures, de vieux journaux d’avant la Grande Guerre dit grand-père, et je me demande comment une guerre peut être grande. Il dit aussi le grenier c’est ce qu’on n’ose pas jeter, il dit le pourquoi des choses, et moi je découvre des merveilles de rien du tout, des tissus rapiécés, des bols en faïence ébréchés, décorés de traits naïfs. Sais-je seulement à l’époque ce qu’est un trait naïf ? L’instant de l’enfance s’agrège aux décennies de vie, d’apprentissage. Je les revois, ces tissus imprimés, aux motifs plus vieux que les vieux papiers peints, au toucher si doux. Je les revois, je crois que je pourrais penser à eux toute une vie, qu’ils pourraient me nourrir longtemps, dans cet équilibre précaire de l’instant revécu, revivifié dans la complexité des souvenirs mêlés.

C’est par exemple mon père dans son atelier de peinture qui prépare sa couleur. La peinture est blanche dans le grand pot devant lui. Avec un pinceau rond, il prend une pointe de pâte bleue foncée. Avec ses deux mains à plat face à face, il fait rouler le pinceau dans un sens, puis dans l’autre, de plus en plus vite. Je regarde fasciné le bleu foncé devenir pâle, se propager autour du pinceau dans le grand pot de blanc. Il recommence plusieurs fois le même geste, reprend du bleu, puis un peu de rouge, il mélange vivement, il y a des irisations de couleurs qui se dissolvent. Je me dis que la couleur devient vivante, qu’elle ensemence le blanc au fur et à mesure qu’on la dissout. Elle se meurt à elle-même pour qu’autre chose naisse. Bientôt, tout le blanc est devenu d’une même nuance parme léger, à peine une couleur. Mon père en prend une goutte qu’il dépose sur un papier coloré – Voilà, c’est ce qu’ils voulaient… Il est heureux, la couleur est la même. Je le regarde, ébahi – Mais comment tu peux faire ça ? – C’est l’œil, mon gars, c’est l’œil… Je lui souris, je garde en moi l’intensité de l’instant, comment le réel se découvre, comment les merveilles se révèlent et comment le peu qu’on agit sur le monde peut nous bouleverser.

C’est un autre instant encore, devant notre maison en fin d’été. Nous vivons là depuis peu, c’est dans l’après-midi, tu es assise à lire à l’ombre de l’arbre, tu portes une robe jaune, et ta peau de fin d’été est devenue brune comme un gâteau. Ce sont encore les couleurs qui prennent mon regard, qui me guident vers toi. Je m’approche, je ne sais plus si je t’embrasse, si je te dérange dans cette rencontre que tu tisses avec les mots. L’instant déborde, il a besoin de plus que son image, au risque de perdre sa magie, son imperceptible chant qui ne décrit rien, mais fait sentir si puissamment le bonheur d’être ensemble. Je te regarde, et les couleurs me portent jusqu’à l’âme, cette présence si fine, si transparente, à peine là vraiment, mais qui fait que l’instant reste en moi, ancré dans la mémoire à jamais. Il reste et me nourrit, sans que je sache comment, comme un ange qui m’accompagnerait dans la quête de vivre.

Laisser venir l’instant, tous ceux qui ont tressé mon temps, tous ceux à venir encore, les accueillir, accepter qu’ils se mêlent, les traduire autrement, d’un univers à l’autre, d’un paysage immense à la petite parcelle de terre, du souffle court à son ampleur dans le repos de la nuit, des plaines aux montagnes dans toutes les respirations douces des moments qui viennent et passent.

Écriture le 25/04/24

J’ai fouillé dans les photos anciennes

celles qu’on touche, au papier galbé parfois,
celles qu’on a rangées dans les albums
dans des abris pour l’éternité.
On n’en sait plus parfois ni le temps ni le lieu,
on cherche en soi, on voudrait que la mémoire ait tout marqué
des repères du bonheur
des scintillements de la vie
hors des jours ordinaires
quand on a pris la photo
pour faire un point d’arrêt à la fuite du temps.

J’ai fouillé dans la mémoire
et c’est l’émotion de tant d’instants qui est venue,
ce qu’il est advenu des visages et des êtres,
ceux qu’on connaît toujours
et qui continuent d’être proches
et ceux en allés dans l’oubli ou la mort.

Certaines des images restent
des énigmes à jamais
parce qu’on a cru que l’image
suffisait à la mémoire et que ce n’est pas vrai.
Il lui faut une charge au même instant
comme un feu qui la nimbe
et qui propagera les souvenirs.
Alors elle donne à voir
non ce qu’on voit sur elle,
qu’on peut décrire,
mais l’ensemble de l’instant
peuplé des autres et de soi
et des arbres et de la lumière
et de la vie qui brille dans le monde.

Écriture 12/03/24

L’enfance est si lointaine, presque perdue dans la mémoire effilochée.

On tombe sur ses instants, par hasard, un matin où le soleil est rasant comme autrefois dans la couleur merveilleuse sur le pan de la maison. On n’a pas voulu rassembler ces instants, ils reviennent au gré du temps, des jours, au gré des gestes. Ma mère étend le linge dans la petite allée, je cueille des cerises aigres dans le jardin, on joue plus loin, près des pommiers.

Je ne sais pas pourquoi ces images, et pas d’autres, le socle de soi-même se bâtit sans qu’on le sache, les images dans la mémoire tournoient, elles font une danse dans la lumière des jours, elles nous disent peut-être le sens caché des vies.

L’écriture dans l’âge se fait plus incertaine de ces instants, l’écriture, c’est ce qui s’en va de soi, comme si on transmettait l’album de la mémoire, par petites facettes, qu’on refermait les pages, une à une. L’écriture dans l’âge tremble, la main ne sait plus trop les lettres. Et tout se bouscule à la porte des vies, comme un humus inépuisé qui peu à peu s’assèche.

Comment aller jusqu’au bout des paysages, des visages, jusqu’au bout de l’autre et de soi-même ? Comment ne pas se perdre, toucher encore ces merveilles, les faire grandir ? Et que l’écriture soit une fête. Je ne sais rien des regards sur les mots, je ne sais rien même de leur pertinence, de ce qu’ils rendent fertile en l’autre, en vous qui les lisez. Écrire est un appel si étrange, une sorte de terre inconnue dont on croit trouver à chaque fois des lambeaux, des bribes, des îles, contre l’engloutissement.

Ce qui s’éloigne, jours proches ou jours anciens, qui semble à jamais tissé dans la mémoire, tel un réel incertain, qui tente le partage encore. Qui se confronte à la voie précaire de ce qui s’enfuit, qui s’est enfoui. Et dont on cherche immensément la lumière, le linge si doux d’autrefois que le vent berce. Et ses couleurs, qui vibrent pour l’éternité.

Écriture le 04/03/24

Quand on revoit l’enfance, c’est à pleines brassées la certitude du monde.

Ce qui revient tient de l’inamovible, brefs instants dans la mémoire nimbés de l’immortalité. Quand on revoit l’enfance, ce sont les torrents d’images, des eaux claires en transparence du monde qu’on peut toucher, flux de bonheurs qui ne s’ébruitent pas, qui restent paisibles, marqueurs à tout jamais d’on ne sait quelle réalité.

C’est comme un paysage de mots mêlés de couleurs, un territoire qu’on voudrait isoler, reprendre, pouvoir y puiser quand bon nous semble. Mélanges de profusion et d’extrême rareté. La mémoire tisse des détours, des complexités qui nous échappent.

S’en aller dans l’âge, c’est éprouver plus encore la solitude. On n’ose plus déranger les proches, les questionner sur l’incompréhensible de la vie. L’enfance se reflète plus souvent, mais c’est une image qui tremble, qui mêle l’extrême certitude de mourir et l’extrême certitude du bonheur des années, ce long temps du parcours de la terre, les gestes, les regards, sans bien savoir. Qu’agrège-t-on au long d’une vie, que laisse-t-on comme nourriture à ceux qui passent, à ceux qui viennent ?

On revoit les vieilles rues, les chemins qui desservent les jardins, le port penché des arbres, toute la musique des mots lovés sur eux-mêmes et qui parfois jaillissent à notre insu. On revoit les visages, la marchande de chaussures qui parle, l’homme qui passe avec sa charrette aux grandes roues… Cela qui dure encore, cela qui n’existe plus, qui montre qu’on a parcouru le temps. Sans jamais comprendre au fond de soi ce qu’est le temps. On revoit les sourires, qui éclairent, les douleurs qui font clôtures. On se dit que rien n’est tant précieux que les uns, rien tant dérisoire que les autres. On ne sait pas ce qui nous arrête, nous retient, nous comble. Vivre, c’est puiser dans quelle réalité, creuser quelle chimère, faire naître, mais à peine, quels souvenirs, et quels bienfaits ?… Tout ce qu’on devine dans le parcours des nuages au cœur du ciel du printemps. Tout ce qu’on voudrait imaginer, si longuement encore, rassembler avec les visages…

Écriture le 30/12/23