Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Voussure du portail
Foussais
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

Quand on revoit l’enfance, c’est à pleines brassées la certitude du monde.

Ce qui revient tient de l’inamovible, brefs instants dans la mémoire nimbés de l’immortalité. Quand on revoit l’enfance, ce sont les torrents d’images, des eaux claires en transparence du monde qu’on peut toucher, flux de bonheurs qui ne s’ébruitent pas, qui restent paisibles, marqueurs à tout jamais d’on ne sait quelle réalité.

C’est comme un paysage de mots mêlés de couleurs, un territoire qu’on voudrait isoler, reprendre, pouvoir y puiser quand bon nous semble. Mélanges de profusion et d’extrême rareté. La mémoire tisse des détours, des complexités qui nous échappent.

S’en aller dans l’âge, c’est éprouver plus encore la solitude. On n’ose plus déranger les proches, les questionner sur l’incompréhensible de la vie. L’enfance se reflète plus souvent, mais c’est une image qui tremble, qui mêle l’extrême certitude de mourir et l’extrême certitude du bonheur des années, ce long temps du parcours de la terre, les gestes, les regards, sans bien savoir. Qu’agrège-t-on au long d’une vie, que laisse-t-on comme nourriture à ceux qui passent, à ceux qui viennent ?

On revoit les vieilles rues, les chemins qui desservent les jardins, le port penché des arbres, toute la musique des mots lovés sur eux-mêmes et qui parfois jaillissent à notre insu. On revoit les visages, la marchande de chaussures qui parle, l’homme qui passe avec sa charrette aux grandes roues… Cela qui dure encore, cela qui n’existe plus, qui montre qu’on a parcouru le temps. Sans jamais comprendre au fond de soi ce qu’est le temps. On revoit les sourires, qui éclairent, les douleurs qui font clôtures. On se dit que rien n’est tant précieux que les uns, rien tant dérisoire que les autres. On ne sait pas ce qui nous arrête, nous retient, nous comble. Vivre, c’est puiser dans quelle réalité, creuser quelle chimère, faire naître, mais à peine, quels souvenirs, et quels bienfaits ?… Tout ce qu’on devine dans le parcours des nuages au cœur du ciel du printemps. Tout ce qu’on voudrait imaginer, si longuement encore, rassembler avec les visages…

Écriture le 30/12/23

D’abord, il y avait eu ces costumes du temps lointain, sauvés de la destruction, collectionnés comme on dit, des décennies durant, par des regards experts et des mains qui les rangeaient dans des chambres profondes.

Et puis l’idée, et ces heures passées ensemble à trouver une approche sensée, à choisir, parcourir le temps du monde, la vie supposée des costumes, l’univers des villes et celui des villages, et comment on pouvait dérouler ainsi la mémoire des formes et des hommes. Comment on pouvait écrire leur aventure à travers ces pans de tissus, ces dentelles, ces volumes si près des corps, mais qui semblaient si loin de nous.
Et puis ce fut le temps des photos, de la mise en images, les costumes et leurs reflets dans la lumière, les mannequins qu’on habille et déshabille, qui le temps d’un instant reprennent vie ou presque dans les redingotes ou les crinolines. Des heures et des heures encore, à révéler les détails sous la lumière, à choisir, à mettre en regard. À tenter de tresser un fil qui pourrait nous conduire quelque part, nous montrer comment c’était vraiment, du temps des robes à la française ou des lévites, ou du moins comment on peut construire un regard sur ces temps-là.

Il avait fallu ensuite imaginer un parcours dans ce temps long, incarner dans l’espace muséal une distribution qui donne un sens physique, temporel, intellectuel, avec les explications nécessaires, du rythme visuel, comment montrer les périodes qui passent et les formes qui changent, et la mode qui vient, qui étend son empire. Il avait fallu préparer les perruques, essayer les habits, ajuster…
Ensuite le montage lui-même, quelques jours à quelques-uns, mannequins sur les estrades, mouchoirs de cou et jupes aux murs, panneaux d’interprétation… Comment faire pour que tout cela respire, que les anciennes gravures fassent écho aux costumes eux-mêmes. Sait-on combien toute œuvre culturelle naît dans la fragilité, quelle longue patience elle draine, ici de la collecte à la mise en images, des lectures innombrables à l’écriture ?

Près de neuf mille personnes sont venues, parcourant ces espaces recréés, rêvant peut-être au temps passé, comprenant un peu mieux comment on façonne la mémoire, comment le monde change, à l’aune de ce qu’on porte sur soi, admirant peut-être telle harmonie de couleurs sur des tissus de soie dont on a perdu maintenant le savoir-faire… On ne sait pas vraiment à quoi tout cela sert, ce que ça peut changer dans le regard. On espère que notre éblouissement a fait cortège, que des lucioles ont brillé dans les yeux de beaucoup.
On démonte aujourd’hui l’exposition, on décroche, on enroule, on plie, on range dans les boîtes numérotées. Moins d’une journée pour que l’espace redevienne vide, que tout se désagrège, qui témoignait du mouvement du monde.

Des costumes pour lire le monde au Musée des Cordeliers, Saint-Jean d’Angély, octobre 2022 à septembre 2023

Écriture le 24/09/23

La donation objet de cet article et du précédent est formalisée chez le notaire Cristin, le 18 mars 1812. Jean Sirat, cultivateur à Lépinoux, fait cette donation à ses deux enfants Joseph, marié à Marianne Babin, et Marie, marié à Jean Bonnarme. Voici le second lot.

Le second des dits lots est échu, demeuré, sera et appartiendra à la dite Marie Sirat femme Bonnarme en pure et absolue propriété consistant icelui dans les fonds qui suivent.
Savoir un bâtiment au dit Lépinou avec son quereux1 au devant et vis à vis, qui devra passage avec bœufs et charrettes à l’autre lot, confrontant du levant à la chambre du premier lot, le mur de refend mitoyen sera monté à frais commun jusqu’à la charpente, du couchant au chemin qui conduit à la fontaine des artenants, par le derrière au chai de Jean Sirat et par le devant le quereux confronté au quereux de Pierre Papilleau du Chiron… Plus la moitié d’une houche2 à Libreson à prendre au… contre… d’autre côté à l’autre lot...

Extrait acte

Notons qu’il y a souvent comme ici un partage des bâtiments existants. Au premier recensement de 1851, le village de Lépinoux compte 125 habitants, contre environ 40 aujourd’hui et alors qu’il y a un peu plus de maisons construites qu’à l’époque. Dans notre maison, et suivant les dires des anciens propriétaires, quatre “ feux3 ” ont vécu ensemble, chacun occupant une pièce. Le mur de refend qui fait limite ici entre les deux lots doit être remonté jusqu’en haut du bâtiment.

Plus quinze règes4 de vigne situés à La Brousille, confrontant du levant à l’autre lot, et du couchant à Pierre Ardouin la jeunesse. Plus six sillons de vigne situés aux Grandes Versaines, confrontant du levant à la veuve Louis Pineau, du couchant à Jean Sirat, du bout du midi au chemin de St-Jean… Plus une pointe de pré situé au Pré Patin, confrontant du levant à Jean Papilleau et du couchant au chemin de Lépinou à Loiré… Plus neuf règes de vigne situées derrière Le Plantis confrontant du levant à Jean Bonnarme et du midi à la divise de Loiré. Plus douze sillons de terre situés au Pré Patin, confrontant du levant à la vigne de l’autre lot, du couchant à Jean Daigre, du midi au dit chemin de St-Jean. Plus sept sillons de terre situés sur la Sablière, tenant du levant à Louis Babin, et du couchant à la veuve Jacques Micheau… Plus la moitié d’un petit renfermis5 appelé La Tranchée sur l’Aubrée, confrontant du levant à la veuve Louis Pineau qui a l’autre moitié et du midi à Jean Papilleau fossé entre deux dépendant du renfermis… Plus sept sillons sur Les Bouchauds confrontant du levant à la veuve Louis Pineau et du couchant à Pierre Papilleau… Plus dix sillons situés aux Ardillards, confrontant du levant à la veuve Jean Belin et du couchant à Pierre Rillaud… Plus une pièce de pré de cinq routes (?) environ située au Pré Patin confrontant du levant à Jacques Gueri et du couchant au nommé Maillou du chef de sa femme, la dite pièce de pré derrière, confrontée, attribuée à la dite Marie Sirat pour sa portion dans les acquêts…
Qui sont tous les biens domaines et héritages que les dits copartageants avaient à diviser entre eux leur provenant des successions échues et anticipées, le dit Jean Sirat gentille et Favreau conjoint ; s’il s’en trouve d’autres dans la suite provenant des mêmes chefs, ils promettent et seront tenus les partager également par moitié, se tiennent de ceux-ci tombés en leur lots pour contents et bien apportionner, en conséquence ils s’en sont dès à présent et pour toujours démis, dévêtus et désaisis à l’effet par eux d’en jouir faire et disposer à l’avenir, comme de leurs autres biens, en payant les contributions auxquels ils seront assujettis et sous la garantie réciproque à laquelle tous copartageans sont tenus de droit.
Passant les parties au règlement de leurs droits mobiliers, il est par elles déclaré que le dit Jean Bonnarme lors de son mariage avec la dite Marie Claire Sirat fut associé à la communauté mobilière du dit Sirat père et ses enfants ; lui et son épouse pour une moitié et l’autre moitié par le dit Sirat père et le dit Joseph Sirat et son fils, ainsi qu’il résulte de leur acte de mariage reçu le notaire des présentes le vingt et un frimaire an sept, enregistré à Néré le premier nivôse suivant par Merveilleux ; que quelques années après le dit mariage le dit Bonnarme et sa femme étant sortis de la maison de leur père et beaupère en retireraient les portions auxquelles ils étaient associés à sa communauté, que par le contrat de mariage du dit Josaph Sirat avec la dite Marianne Babin, reçu nous dit notaire le vingt trois pluviôse an treize enregistré le premier ventôse suivant, il y eut stipulation de communauté mobilière entre le dit Sirat père et le dit Sirat futur et la dite Babin, que cette communauté a existé de cette manière jusqu’à ce jour. En telle sorte que par le moyen de la donation du père commun, cy dessus établie, le dit Joseph Sirat et son épouse s’y trouvent fondés outre les deux tiers à eux afférants en icelle de la moitié du tiers de leur père et beaupère donateur, et l’autre moitié du dit tiers à la dite Marie Claire Sirat ; les droits mobiliers de chacun étant ainsi réglés, le dit Bonnarme son épouse, Joseph Sirat et la sienne sont ensemble convenus du marché qui suit : savoir, qu’icelui dit Bonnarme et sa femme font par ces présentes cession et transport au dit Joseph Sirat et son épouse acceptant du sixième leur revenant en le dit mobilier, compris en la donation du dit Sirat père, hors et réservé toutefois leur sixième partie en quinze mauvais futs de barriques et deux cuves de charroix aussi mauvaises, cette cession faite pour quatre vingt quatre Francs numéraire effectif, que le dit Sirat et son épouse ne seront tenus payer au dit Bonnarme et son épouse que six mois après la mort du dit Jean Sirat père en espèces de numéraire et non autrement, moyennant quoi aussitôt le dit décès arrivé le dit Joseph Sirat et sa femme s’empareront de plein droit de tous les meubles et effets du dit Sirat père et en disposeront à leur volonté, à toujours sous la réserve, comme dit est, du dit sixième de barriques et cuves qui ne sont point comprises en la dite cession.
[Suit une conclusion “ Tout ce que dessus est l’intention des parties... ” dont il manque la fin.]

Si vous avez eu le courage de lire jusqu’ici, posons-nous ensemble quelques questions. Est-ce seulement la complexité fleurie du langage notarié de l’époque qui nous le rend si peu accessible, au point sans doute qu’on a du mal à imaginer que cela fasse vraiment contrat en bonne et due forme ? Qu’est-ce qui fait, dans la langue, que ceux de l’époque s’y retrouvaient ? Ou faut-il admettre que, déjà, il leur fallait des sortes de traductions ? Si la description des lots est lisible, que dire des affirmations autour des “ communautés ” ? Et, au-delà, à quelles différences dans le rapport au monde renvoie cette langue, avec notre temps à nous ? Qu’a-t-on gagné, qu’a-t-on perdu ?

1 Quereux : sorte de place nue ou de cour non fermée, jouxtant les bâtiments.

2 Houche ou ouche : parcelle de terre de bonne qualité souvent cultivée en potager.

3 Feu : couple en ménage, avec enfants éventuels.

4 Rège : désigne une rangée de vigne palissée.

5 Renfermis : petit enclos.

 

Écriture et transcription mars 2023