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Poème (Rémy Prin)
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Sikka, Flores, Indonésie

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

Deux exemples, encore, de fresques créées par Piero della Francesca à Arezzo, pour toucher un peu des yeux un génie de la peinture.

Une Annonciation d’abord, une des scènes les plus représentées du récit évangélique. Celle-ci est située aussi dans la basilique Saint François, juste à côté de l’Histoire de la vraie Croix, sans qu’il y ait de rapport évident entre les deux. Mais on sait que la fête de l’Annonciation connaissait à Arezzo un culte particulier et que les Franciscains y étaient très attachés.

“ Contrairement à tant de Vierges de l’Annonciation dans l’histoire de l’art, la madone de Piero n’a rien de timoré : elle s’impose par sa majesté calme et sereine, noble sans être hautaine, avec une grandeur innée qui fait d’elle l’élue entre toutes les femmes1. ” La scène est située devant la maison de la Vierge, sous un portique transformé en décor Renaissance, où les influences antiques sont bien présentes. Voici d’abord le visage de Marie.

 Arezzo Piero della Francesca Annonciation 1

Il y a un mystère dans les visages de femmes de Piero, et une parenté entre eux tous (Voir plus bas celui de Marie-Madeleine). Les jeux de la lumière et des couleurs sont d’une subtilité qu’on creuse au fur et à mesure du regard. La transparence de la coiffe locale, les traits si fins des joues, le modelé des lèvres sont en quelque sorte des signatures somptueuses du peintre. Mais, bien plus, tous ces éléments participent d’une plénitude, d’une présence exceptionnelles. La Vierge a les yeux mi-clos, elle accepte ce que lui annonce l’ange, mais avec distance, déjà emplie de l’accueil du divin en elle.

 Arezzo Piero della Francesca Annonciation Ange

L’ange, lui, est figuré de profil, sous les traits d’un très jeune homme, dans un souci de réalisme extraordinaire. Les jeux de transparence du vêtement font écho à la précision des ailes. La chevelure est nourrie de détails qui ne nuisent en rien à son extrême fluidité qui se prolonge dans tout le corps. Le visage et le signe de la main, nets et précis, irriguent cet immense mystère de l’Incarnation qui s’amorce avec cette scène. Piero, ainsi, nous donne à voir une réalité très aiguisée, très sereine, mais totalement transfigurée par une sorte d’au-delà de la peinture qu’on peine à nommer.

À quelques centaines de mètres de la basilique Saint-François se trouve le Duomo, autrement dit la cathédrale Saint-Donat, où Piero a peint Marie-Madeleine, vers 1468, en haut du mur de la nef gauche et un peu cachée par le tombeau de l’évêque Tarlati. “ Au Moyen Âge, Marie-Madeleine était l’image de la pénitence ; en Italie, ce sont surtout les Franciscains qui, au XIIIe siècle, ont mis son culte en honneur. La représentation qu’on en a demandée à Piero était très populaire au XIVe siècle, c’était la porteuse de myrrhe, d’origine byzantine.2 ” Sous son arche, dans les variations des couleurs et des drapés, Marie-Madeleine devient presque une silhouette en majesté, une majesté toute intérieure, distante encore.

 Arezzo Piero Marie Madeleine  ensemble

Son visage et ses abords, à travers les cheveux défaits, révèle la maîtrise picturale de Piero. Et à nouveau, le réel figuré est dépassé par la sensation de présence ultime et mystérieuse de cette femme aux mœurs légères maintenant repentie, devenue proche de Jésus.

Arezzo Piero Marie Madeleine visage

 Pamela Zanieri, Guide sur les traces de Piero della Francesca, Scala, 2012, p. 56
 Ronald Lightbown, Piero della Francesca, Citadelles et Mazenod, 1992, p. 183

 

En septembre 2014

Écriture 12 juillet 2024

 

Arezzo est une ville où l’on éprouve d’abord l’espace, des ruelles ombragées aux grandes étendues des places. Et comme souvent en Toscane et dans ses alentours, on marche dans la trame urbaine avec allégresse, tant elle regorge de vraies richesses, comme écrivait Jean Giono.

J’ai déjà consacré un article de ce blog à une œuvre de Piero della Francesca, la Madone de Senigallia à Urbino. Si je reviens à quelques autres images de ce peintre, en quelques autres articles, c’est que l’expérience de vision que j’ai vécue alors, il y a dix ans maintenant, fut bouleversante et le moment peut-être d’une réconciliation avec l’image. Instants dès lors inépuisables, où s’étancher sans crainte, comme on revient à des textes fondateurs…

Quelques mots d’abord sur Piero qui s’éteint avec la fin du Quattrocento (en 1492) et dont l’œuvre couvre plus de la moitié du siècle : il “ va passer de l’univers gothique tardif de la Toscane orientale aux milieux artistiques les plus novateurs de son époque1 ”. Esprit étonnamment ouvert, il puise aussi bien à la peinture flamande de l’époque (Jan Van Eyck, Rogier Van der Weyden) qu’à la théorie de la perspective de Brunelleschi. Piero est d’abord un créateur extrêmement rigoureux (on le reconnaît après sa mort d’abord comme un théoricien des mathématiques, sur lesquelles il écrit plusieurs ouvrages). Par exemple, il fait préparer pour ses fresques des cartons à la taille exacte des panneaux, sur lesquels sont exécutés des dessins les plus précis possibles. Il réalise des modèles en cire et les habille d’étoffes souples pour en étudier le rendu visuel.

Mais Piero dépasse, on pourrait dire transfigure, cette rigueur. Au-delà de la quête du réel dans un mode de représentation affiné et raffiné, ce qu’il arrive à donner à voir du monde est la présence des femmes et des hommes, présence comme un arrière-pays des regards qui exhalent l’émerveillement et le mystère. Comme l’assemblage poétique des mots révèle une autre dimension qu’eux-mêmes, les images de Piero della Francesca approfondissent le regard au-delà de ce que l’on voit.

Puisons un exemple dans cette basilique Saint-François d’Arezzo. On y entre le matin, on va vers le chœur, là où les fresques de Piero occupent toutes les parois. On les voit dans des conditions merveilleuses, après quinze ans de restauration, avec la juste lumière de la matinée. Cet ensemble relate la Légende de la Vraie Croix, un récit mis en scène par Jacques de Voragine dans sa Légende Dorée, deux siècles avant que Piero ne crée ces fresques. Il y travaille environ dix ans, avec ses assistants. Cette histoire à succès autour du bois qui a crucifié le Christ comprend bien des scènes, qui commencent à la mort d’Adam, font apparaître la reine de Saba, puis Constantin l’empereur romain…

Arezzo Piero Vraie Croix 1 

Les deux images de cet article proviennent de la scène de bataille qui a lieu en 615, entre l’empereur Héraclius et le roi perse Chosroès qui a volé la croix. Héraclius va l’emporter et la ramener à Jérusalem. La scène de bataille donne à voir une foule en guerre, où se mêlent les armes qui quadrillent l’espace, les visages, les chevaux et les étendards qui s’agitent sur le bleu du ciel. Malgré la densité de la violence, la composition reste claire, non surchargée. Piero raconte l’histoire, tout en inventant une présence au monde de l’image toute particulière, à la fois familière d’elle-même et se dépassant constamment, à la fois simple et extrêmement sophistiquée.

 Arezzo Piero Vraie Croix 2

On peut trouver ici une respiration, une émotion dans chaque ensemble, chaque composition et chaque personnage, chaque approche des objets jusqu’au moindre niveau de détail. Ainsi, de ces deux visages de jeunes soldats, dont l’un va peut-être mourir, qui regarde de front celui qui le frappe de son épée. Tandis que l’autre, si juvénile encore, jette ses yeux ailleurs comme pour échapper à la furie meurtrière de ceux qui le côtoient. Tout cela porte, sans subjuguer, c’est comme l’effusion retenue d’une relation dense, incarnée. Comme si, derrière l’image, il y avait des promesses infinies.

1 Ronald Lightbown, Piero della Francesca, Citadelles et Mazenod, 1992, p.13.

En septembre 2014

Écriture 2 juillet 2024

Sources bibliographiques :

• Giorgio Feri, Arezzo, guide, Cartaria Aretina, 2012, p. 15-26
• Pamela Zanieri, Guide sur les traces de Piero della Francesca, Scala, 2012, p. 5-59
• Ronald Lightbown, Piero della Francesca, Citadelles et Mazenod, 1992, p. 133-173
• Jacques de Voragine, La Légende Dorée, Diane de Selliers, Tome II, 2001 [vers 1260], p. 148-156