Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Voussure du portail
Foussais
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

On touche des mots parfois,
dans l’incertitude tremblée de la main
qui les couche sur la page,

le plus grand scintillement, le plus grand dénuement,
à la fois l’essentiel de ce qu’on rêve et son impuissance.

L’écriture s’accroche aux bribes de ce qui reste,
à l’espérance de ce qui vient,
elle tremble de toutes les douleurs
de ce qui n’est pas su,
ni vécu,
mais entre les mots l’épaisseur d’un pays
qu’on aurait souhaité parcourir
juste peut-être le temps d’un rêve.

On glane des images, on croit naïvement
que ce qu’on traverse en elles
prend pouvoir sur le monde,
ou du moins l’empan de la terre qu’on partage,
tant les images parfois vous transfigurent
tant elles ouvrent, comme les mots
des trouées d’air et de bonheur mêlés,
parfois,
dans l’éclairage éperdu du temps.

Écriture 19/01/24

Quand on revoit l’enfance, c’est à pleines brassées la certitude du monde.

Ce qui revient tient de l’inamovible, brefs instants dans la mémoire nimbés de l’immortalité. Quand on revoit l’enfance, ce sont les torrents d’images, des eaux claires en transparence du monde qu’on peut toucher, flux de bonheurs qui ne s’ébruitent pas, qui restent paisibles, marqueurs à tout jamais d’on ne sait quelle réalité.

C’est comme un paysage de mots mêlés de couleurs, un territoire qu’on voudrait isoler, reprendre, pouvoir y puiser quand bon nous semble. Mélanges de profusion et d’extrême rareté. La mémoire tisse des détours, des complexités qui nous échappent.

S’en aller dans l’âge, c’est éprouver plus encore la solitude. On n’ose plus déranger les proches, les questionner sur l’incompréhensible de la vie. L’enfance se reflète plus souvent, mais c’est une image qui tremble, qui mêle l’extrême certitude de mourir et l’extrême certitude du bonheur des années, ce long temps du parcours de la terre, les gestes, les regards, sans bien savoir. Qu’agrège-t-on au long d’une vie, que laisse-t-on comme nourriture à ceux qui passent, à ceux qui viennent ?

On revoit les vieilles rues, les chemins qui desservent les jardins, le port penché des arbres, toute la musique des mots lovés sur eux-mêmes et qui parfois jaillissent à notre insu. On revoit les visages, la marchande de chaussures qui parle, l’homme qui passe avec sa charrette aux grandes roues… Cela qui dure encore, cela qui n’existe plus, qui montre qu’on a parcouru le temps. Sans jamais comprendre au fond de soi ce qu’est le temps. On revoit les sourires, qui éclairent, les douleurs qui font clôtures. On se dit que rien n’est tant précieux que les uns, rien tant dérisoire que les autres. On ne sait pas ce qui nous arrête, nous retient, nous comble. Vivre, c’est puiser dans quelle réalité, creuser quelle chimère, faire naître, mais à peine, quels souvenirs, et quels bienfaits ?… Tout ce qu’on devine dans le parcours des nuages au cœur du ciel du printemps. Tout ce qu’on voudrait imaginer, si longuement encore, rassembler avec les visages…

Écriture le 30/12/23

La Géorgie a gardé une profusion d’églises, dont beaucoup sont ornées de fresques. C’est un merveilleux observatoire de la permanence et des évolutions de l’image byzantine, en plus d’une immersion dans un territoire magnifique.

Nous sommes partis ce matin de Tbilissi vers l’Ouest, avons passé Gori, le lieu de naissance de Staline, où des traces restent des bombardements de 2008. On laisse le monde contemporain, on remonte une vallée qui s’encaisse, qui s’enfonce. Des maisons serrées, de la poussière, de la pauvreté, au milieu de la densité humaine.
L’église d’Ateni est au centre d’une boucle de la rivière Tana. Elle est cernée par des échafaudages. “ Depuis quatre ans, dit Léla, mais pas de travaux encore. ” On quête tout de même les reliefs en aplat, les princes représentés, la chasse au cerf… L’église est fermée, Léla a demandé pour la clé, la femme qui s’en occupe est aux champs, elle va venir, on attend. Un groupe de voyageurs russes arrive, une bonne vingtaine de personnes, un jeune me demande en anglais pour la clé, j’explique, on continue d’attendre. La femme arrive, en noir, affolée de tant de monde. Elle ouvre. Des fresques partout sur les murs, mais des échafaudages partout aussi devant elles. Palabres... on négocie pour mettre une échelle afin d’accéder aux passerelles. Tous, nous montons, privés de vue d’ensemble, mais baignés de la proximité des images, dans le grincement des planches et des armatures métalliques. Ces fresques datent de la seconde moitié du XIe siècle, des prophètes, l’entrée des justes au Paradis, le portrait d’une reine, cette scène de la Visitation aux visages qui se touchent, et cet ange flottant dans l’espace et qui vient avertir en songe Joseph qui dort au-dessous… Présence intense et distance aussi dans la représentation. On sait que pour l’orthodoxie byzantine, l’image est le signe d’abord d’un cheminement intérieur, qu’on a du mal à entreprendre, vu les treillis d’acier et les bruits qu’ils engendrent.

Ateni Visitation

 

Ateni Abge

Nous redescendons dans la plaine, pour suivre bientôt la douce vallée de la Dzama. Des vergers, pommes, abricots, prunes, treilles, noix… une surabondance de fruits au cœur d’un pays vert, un paysage comme le paradis, peuplé, souriant. Puis à gauche, on entreprend la longue montée vers le monastère de Kintsvissi, dont on entrevoit de loin la coupole perdue dans les arbres, à flanc des monts, à deux pas des nuages. La route monte en lacets jusqu’à un terre-plein, puis quelques centaines de mètres de montée à pied. Comme toujours, les situations exceptionnelles, à l’écart, dans le silence, se méritent. Deux églises ici, celle de la Vierge, à moitié effondrée, et celle plus vaste de Saint-Nicolas.
Un moine nous a vus venir, il nous précède, ouvre sa boutique près de l’église. Léla demande pour les photos. C’est non, même sans flash, car ça abîme les fresques. On entre, dans une symphonie extraordinaire de bleus. On est à l’époque de la grande reine Tamar (début XIIIe siècle), période de renaissance, où l’on a utilisé du lapis-lazuli pour les bleus de ces fresques a secco. Le moine entre après un moment, il voit nos sacs fermés, nous autorise finalement à prendre quelques photos, comme cet ange entre deux fenêtres, au visage si intense et si doux, proche des femmes découvrant le tombeau vide. Il y a dans tous ces visages qu’on découvre à foison, une extrême finesse. Et c’est comme souvent une émotion déversée, par vagues, d’un long temps d’un regard à l’autre.

Kintsvissi ange

Nous voici à la boutique où l’on achète un pot de miel, un petit livre. On a apporté avec nous des images romanes, il les regarde avec intérêt, on souhaite lui en donner. Une question : “ Catholique ?... ” On acquiesce, il refuse, ne peut pas. “ Excusez-moi ”, dit-il...

En 2013

Écriture le 24/04/23