Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Voussure du portail
Foussais
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Second village, les paniers

“ J’ai préparé les bois de châtaigniers, pour l’armature. On prendra peut-être du jeune frêne aussi, encore souple, et l’osier pour la garniture ”.

Élie me montre. “ Voyez, il faut refendre les bois, les choisir pour la courbure, et faire l’osier comme des lianes, pour le tressage... ” Élie me parle des paniers qu’il va faire naître, durant les soirées longues qui arrivent.

Je ne sais rien de ces gestes, j’écoute, je regarde, l’entrelacs des bois, leur incarnation en une forme exacte d’un lointain passé qui me fascine, me submerge. Élie voudrait m’apprendre, mais je sais que je n’arriverai pas. Il dit doucement : “ Personne bientôt ne fera plus cela, voyez pourtant... ” Et j’évalue l’élégance fragile de l’objet, qui peu à peu devient volume et surfaces mêlées, équilibre, poignée fine qu’il recouvre d’osier tressé. “ Pour le doux de la main... ”

Nous nous servons toujours de ces deux paniers qu’il a créés pour nous voici plus de quarante ans. Pour les légumes ou tes affaires de tricot, pour transporter le temps. Pour suivre les saisons dans la mémoire de cet homme encore près de moi.

Si je regarde aujourd’hui ces paniers, que j’éloigne d’eux la nostalgie, que je les observe comme objets en terrain neutre en quelque sorte, je ne peux m’empêcher d’admirer leur complétude, cet équilibre modeste en eux, et ce qu’ils donnent à voir de l’assemblage du monde, le frêne et l’osier, le geste des mains qui les a faits tenir ensemble pour se lever contre le vide.

Personne désormais ne fait plus cela. De tout ce qui habite nos vies ou presque, l’épaisseur du vivant s’en est allée, et ce qu’elle portait de mémoire longue et de visions du monde. Nos objets sont innombrables, tous semblables comme les machines qui les ont faites. Ils ne disent plus rien du temps, de la présence, ils nous peuplent mais c’est comme le vide, la transparence, ils n’ont plus rien à nous transmettre, on les détruit vite, à mesure que vite ils nous fatiguent.

L’objet d’autrefois forgeait du lien dès sa venue au monde, entre les hommes, entre eux et le monde, il s’inscrivait d’emblée dans les paysages et les saisons, en mesure du respect de ce qui était proche, tout autour de nous-mêmes. Nous n’avons certes pas à revenir au temps de la bougie, comme raillent certains. Mais ces jours qui viennent du pillage généralisé de la terre – et le tocsin devrait sonner sans répit pour alerter les corps et les consciences – sont-ils seulement tolérables, au regard d’un seul de ces paniers qui tissaient en plus d’eux-mêmes les fibres vivantes des communautés ?

Vers 1972

Écriture 13 janvier 2022

 

Panier Elie 

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