Les mots qui disent
entre les mots
l'humanité
l'amour s'il se peut
au gré du monde

Les mots
qu'on ne dit pas
qui nous traversent
criblant les corps

L'envoûtement. Est-ce ton corps qui m'est proche au point d'avoir fait taire en moi toute défense ?

Est-ce l'ailleurs du voyage, où rien n'entrave le regard disponible ?

Rarement l'envoûtement s'est imposé comme en cette soirée devant l'Adriatique. Rarement ville aussi calme : les voix des jeunes filles dalmates s'en vont de groupe en groupe pour restreindre la nuit, elles mènent des lignes invisibles au long des quais, elles portent aux corps l'apaisement.

Ici, la nuit n'arrive qu'avec une lenteur proche du bonheur. J'entends naître des mots près des épaules, les mots se répondent d'un clapotis à l'autre en un long murmure qui dit l'acquiescement des sourires.

Je marche auprès de toi, auprès de l'eau un enfant fait dans le contre-jour une danse de ses mains dans l'air. Je ne cherche rien je marche dans l'apogée, la noce des paroles et des corps que la nuit qui vient bientôt agrégera.

Les couples maintenant plus nombreux comme nous partagent l'étendue de ces lieux d'histoire, des parfums, de leurs gestes hors d'atteinte. Du forum où nous sommes, en dessous des brumes chaudes nous percevons devant Zadar les îles surgies sans mémoire de ce hasard d'ocres, de bleus.

J'ai l'impression d'un privilège, comme d'un moment intact dans l'absolu où la parole humaine multipliée, collective, se conjugue dans l'innocence aux admirables couleurs apportées par la mer et les îles que l'oeil discerne encore. Cela comme un chant même, l'espace et le mouvement des corps et le parfum d'une seconde terre à l'unisson.

Adossés contre une ruine du forum nous contemplons encore l'ample volume de Saint-Donat, fascinés par l'histoire écrite à même le regard : l'église est érigée en de hautes formes dont l'assise repose sur des pierres romaines, fragments de piliers, colonnes brisées, enchevêtrées, liées pour faire soutènement. Signes de Rome saccagés, mais encore fondateurs d'une autre beauté que la leur propre.

Fulgurante évidence qui nous étreint, cette violence des pierres détruites, scellées à nouveau dans l'acte créateur. Comme si l'incessant oubli des hommes pour leurs oeuvres était l'exigence première afin que d'autres chants s'élèvent.

Comme s'il fallait ce ressac, dans l'arc des démarches au bord de l'eau, pour que des demeures naissent à nouveau et que la parole se propage encore.

Sur la place lourde de monde maintenant, nulle agitation pourtant, nul désarroi. Les amples murmures qui maintenant s'élèvent contre les parois de l'église disent l'approbation des corps seulement à la soirée tiède de mai. Des amours jeunes se cachent dans les replis des ruines.

Nous sommes assis, d'une paume j'entoure ton sein qui se gonfle, de l'autre l'antique pierre chaude. J'écris dans ma tête le poids du sang vivant, la respiration de l'histoire. J'apprends la transparence de la rumeur humaine qui couvre les désastres.

Monique, Zadar, Croatie