Les mots qui disent
entre les mots
l'humanité
l'amour s'il se peut
au gré du monde

Les mots
qu'on ne dit pas
qui nous traversent
criblant les corps

Nous avions quitté Ostende suffisamment tôt le matin avant que la lumière ne fasse réellement présence.

Les moindres routes que je découvrais luisantes et fraîches révélaient seules le pays traversé. Ces terres n'auraient peut-être pas existé sans ce treillis déformé qui les marquait, quand nul autre relief ni signe n'offrait au regard une différence pour les nommer.

Je découvrais à nouveau l'uniforme Nord pareil à celui des années d'études - un corps qui respire et suinte et dont l'âme semble à jamais sous-jacente. Un espace d'apparence anonyme et qui se voulait tel.

Nous venions d'arriver en Zélande dans un village nommé Retranchement que les rideaux d'arbres maigres délimitaient à grand'peine. Je me souviens que peu à peu la lumière rase de septembre accentuait les découpes, établissait çà et là quelque endroit sûr où fixer le regard. Mais l'ensemble du pays encore paraissait confusément absent comme à l'accoutumée pour moi en ces régions.

Nous prîmes le ferry pour atteindre Vlissingen en traversant ce qui à cet endroit est plus qu'un large estuaire. Sur le pont je m'étais accoudé, elle était venue près de moi. A lever le regard, je vis soudain l'extrême conjonction de son visage et de la mer en contrebas, maintenant peuplée de trouées de soleil au travers des nuages. Comme si le teint de sa peau prolongeait exactement les reflets incertains des remous d'eau. Et les reflets allaient s'éteindre contre les silhouettes des lourds navires marchands qui s'en allaient d'Anvers.

Nous ne parlions pas encore, aimanté que j'étais par ce dialogue de la mer et du visage dont je pressentais la ténuité mais qui dans l'instant me comblait. Denise dit alors des mots sur la lumière et sur les peintres, sur l'apparence et sur ce qu'on décèle au-delà d'elle, sur l'enfance en ce pays-ci quand elle venait à Ostende.

Sa voix me parvenait par bribes à cause du vent, et je me sentais à la fois isolé d'elle et partageant pourtant une sorte d'absolue intimité. Encore une fois le territoire se déroulait sous la parole féminine, son corps scandait l'unisson, il m'abreuvait sans que pour autant je puisse le dissocier de cette rive voilée de brume qui approchait.

Partie prenante du lieu et de l'instant, elle en révélait l'unicité et mon regard sur elle la diluait en eux, elle devenait l'origine de l'espace dont la voix douce mélangeait Vermeer et la mer.

Plus tard - et le soleil avait déjà dégagé le ciel - sur le pont immense qui aboutit près de Zierikzee, je regardais la mer et les digues que les hommes avaient montées pour lui faire limite. Elles semblaient d'ici des pointillés inachevés, la phrase terminale d'une parole encore indicible mais dont quelques repères émergeaient.

L'atmosphère s'était totalement dévoilée maintenant. Les voitures qui nous croisaient rythmaient l'éblouissement dans le rétroviseur je voyais Denise serrée contre son compagnon. son visage tendu dans l'offrande oublieuse. Nous allions vers les villes.

Denise, Vlissingen, Zélande