Visage
San Juan de la Pena (Aragon, Espagne)
Les églises du monastère
Noravank d'Amaghou (Arménie)
Pua kumbu, ikat chaîne
Iban, Sarawak, Malaisie
Tissu de flammé, ikat trame
Charentes, France
Détail d'une robe, ikat chaîne
Urgut, Ouzbékistan
Hinggi kombu, l'arbre à crânes, ikat chaîne
Kaliuda, Sumba, Indonésie
Carré du marais
St-Hilaire la Palud
Fresques de l'abside
Kobayr (Arménie)
Coiffe de deuil
Mazières sur Béronne
Nous tentons...
Poème (Rémy Prin)
Bestiaire au portail sud
Aulnay
Détail d'un sarong, ikat chaîne
Sikka, Flores, Indonésie
Panneau de soie, ikat chaîne
Boukhara, Ouzbékistan
Saintongeoise
Détail de la coiffe
Il n'y a jamais...
Poème (Rémy Prin)
Voussure du portail
Foussais
Détail d'un khatchkar
Gochavank (Arménie)
Motif à l'araignée, ikat trame
Okinawa, Japon

Ce qui a duré
dans la mémoire des hommes,
ce qui fait culture,
paysages de la terre
ou pays de l'esprit,
ce qui peuple le voyage,
les vies, la plénitude,
le patrimoine, ce n'est rien
que ce lien fragile
de ce que nous sommes
à ce que nous devenons.

Chemins du vivant

Fragments d'un monde inquiet

C’est autrefois, il y a bien un quart de siècle, et c’est tout près pourtant. C’est le matin très tôt, il fait très doux dans le premier soleil.

Nous avons monté assez haut sur la falaise au sud de la ville, pour la découvrir ensoleillée d’un seul pan du regard. Quelques centaines de mètres de côté, entourée d’un petit rempart de terre, Shibam, qui fut autrefois capitale de cette région du Yémen où nous sommes, semble de notre promontoire comme un fruit posé sur la terre de l’ancien wadi, ce fleuve Hadramaout d’avant l’histoire des hommes qui trace dans le paysage ses effluves de sable, au pied des falaises.

Shibam est un fruit improbable, une exception bénie de la patience humaine. Les maisons, toutes en terre crue, tassées les unes contre les autres, atteignent parfois sept étages. On les construit et les rénove à l’identique depuis des siècles. Shibam préserve l’ombre si précieuse dans ce presque désert, elle signe l’espoir de vivre des communautés humaines.

Shibam 01

On assiste depuis notre falaise à ce que révèle le soleil sur les maisons en montant dans le ciel, la première lumière dorée si frêle qui se blanchit peu à peu, la ville devant nous, dont le corps des maisons s’offre comme une femme. Matin qui s’écrit, qui tisse le blanc et l’ocre des façades humaines, matin qui nous emplit comme rarement le corps peut se nourrir ainsi d’une extrême beauté. Comme si la lumière nouvelle donnait à voir une image d’exception, dont on sait dans l’instant qu’on ne la reverra jamais, mais qui nous abreuve pourtant jusqu’au tréfonds de soi.

On sait en cet instant qu’on n’épuisera jamais la beauté du monde, cet équilibre insaisissable entre la création humaine et le paysage, l’ordre tissé des ouvertures sur les façades et les falaises au loin qui se dévoilent. On sait en cet instant qu’on ne saura jamais rien de la totalité du monde, mais qu’on en perçoit la bienveillance sublime, pour peu qu’on sache s’asseoir, au matin, se laisser aller à la lumière et à son rêve. Comme une invite à se lever, à descendre vers les hommes de ces maisons étranges et familières à la fois. Comme si les cultures d’ailleurs laissaient toutes une place à l’universel, à la douceur des paroles.

Shibam 02

Tout à l’heure, dans les ruelles de la ville, un homme au regard doux nous abordera, il me prendra le bras, me parlera de Dieu, qui veut l’unité de la terre et des hommes. Il quémandera mon accord, implorant en souriant cette parole de l’étranger que je suis, qui ne fait que passer, qui cherche peut-être comme lui la difficile harmonie de nos pas sur la terre, de nos gestes, tentant de dépasser nos solitudes, nos limites.

En 1999

Écriture le 14/01/25

La ville est proche de l’Adriatique, on va vers elle dans le plat de la terre. Et l’on se dit que le site était indéfendable. Et l’on se demande comment elle a pu devenir la capitale byzantine de l’Occident.

On ne sait pas pourquoi on a fait germer ici des pousses nouvelles des images. Elles sont toujours là ces images faites de mosaïques, imagine-t-on la réalisation de ces centaines de milliers de petits bouts de verre, si lentement assemblés ? La patience du faire, qui a passé plus de quinze siècles en gardant sa fraîcheur. Une sorte de patrimoine inaltérable. Petit parcours, très fragmentaire, dans cette incandescence. 

Ravenne Galla Placidia coupole 

César venait ici, dit-on, prendre ses quartiers d’hiver. Plus tard, la ville accueille les derniers empereurs romains d’Occident, au début du Ve siècle. Galla Placidia, la fille de l’empereur d’Orient Théodose Ier, devenue elle-même impératrice, décide de faire construire le mausolée qui porte son nom. Nous sommes en 430. Et la coupole d’où s’imposent la croix de Constantin et les symboles des évangélistes, rayonne plus encore de ce fourmillement des étoiles de l’univers, assemblées dans une complexité de réseaux improbable.

Ravenne SanVital suite Theodora 

À deux pas de là, un siècle plus tard, on édifie la basilique Saint-Vital, de 526 à 547, période durant laquelle la ville passe sous le contrôle des Byzantins, qui en font leur tête de pont en Occident. On est ici subjugués par l’ensemble impressionnant des mosaïques, qui couvrent quasiment toutes les parois. Outre la magnificence et le précieux, la mise en valeur de Justinien l’empereur et de Théodora son épouse, elles révèlent une sorte de naïveté dans les visages, comme un amour du vivant, qui se découvre et se met à jour avec lui-même. L’ampleur s’articule au souci du détail. Fraîcheur des images, comme on le dit d’un fruit juste cueilli ou d’une terre juste retournée. L’homme se voit-il alors au seuil de cette immense aventure de l’image ?

 Ravenne les rois mages

 La basilique Saint-Apollinaire le Neuf fut construite quelques années plus tôt, au tout début du VIe siècle, par le roi ostrogoth Théodoric, de foi arienne qui considère que Dieu le Père a créé le Fils et lui est donc supérieur. Mais, après la prise de contrôle par les Byzantins, une partie des fresques sera ici remplacée pour que l’édifice soit débarrassé de toute trace d’arianisme. Là aussi, les mosaïques débordent le regard, Deux immenses processions de vierges et d’hommes se font face et peuplent les parois de la nef. En avant, les rois mages montrent une extraordinaire dynamique d’offrande, de tout leur corps.

 Ravenne un roi mage

 Quatre images et quelques lignes ne suffisent évidemment pas à dire en quoi Ravenne est un lieu de rayonnement des images, une sorte de fondation miraculeusement conservée. Il suffit d’être là, de passer d’un édifice à l’autre, pour se rendre compte de l’évidence et du plaisir de l’image, pourtant atteint après une si longue patience, un si lent labeur. Et c’est comme un breuvage qui étanche, qui nourrit, sans qu’on sache vraiment comment.

 En septembre 2014

 Écriture 29 juin 2024

La ville de Pavie est située en Lombardie, à une trentaine de kilomètres au sud de Milan. La légende tient que l’église romane Saint Michel fut fondée par l’empereur Constantin lui-même.

Après l’invasion lombarde1, au milieu du VIIe siècle, une église dédiée à l’archange Michel est avérée en ce lieu, alors capitale des barbares. Mais Pavie est détruite (44 églises rasées) par les Hongrois en 924. L’édifice qu’on voit aujourd’hui est roman, sans qu’on sache bien en déterminer la période de construction.

 Pavie facade ouest


Un coup d’œil sur l’imposante façade ouest donne à penser que les liens entre architecture et sculpture sont ici bien plus distendus que dans nombre d’édifices : les reliefs sont disposés en grande liberté, même si les portails et leurs tympans structurent l’espace mural. Cette dissémination des images se retrouve sur l’élévation sud où, à côté du portail donnant accès au transept, figure une Annonciation et une Vierge à l’enfant. Le matériau utilisé pour ces deux scènes est le marbre, d’où la bonne conservation. Cette Vierge joue avec la densité des drapés, ceux du vêtement et ceux du voile qui créent un lien subtil avec l’enfant. Son visage est aussi très singulier.

Pavie vierge à l'enfant
Mais la majorité des sculptures sont en grès, qui s’est souvent délité avec le temps. Ce qui a suscité la confection de copies de remplacement. C’est sans doute le cas de ce saint Michel terrassant le dragon, dont la facture est quelque peu sèche, mais qui affiche sur la grande façade le patronage de l’église. L’image se réfère à la tradition que rapporte La Légende Dorée : “ doit être citée la victoire que remporta saint Michel quand il chassa du ciel le dragon, c’est-à-dire Lucifer, avec toute sa suite2 ”.

Pavie Saint Michel et le Dragon 
Terminons ce petit butinage parmi les images de cette église de Pavie, par une sculpture d’un chapiteau de la crypte. Réaménagée au début du XVIIe siècle, celle-ci a néanmoins conservé une bonne part de chapiteaux du XIIe siècle. Ce petit personnage au visage un peu triste est mordu par deux serpents dragons, qui entourent aussi ses jambes et qu’il tient de ses bras. Dialogue intime de la bête et de l’humain, qu’on retrouve si souvent en nos régions du sud-ouest. D’ailleurs dans la nef de l’église, d’autres chapiteaux font penser à ce même voisinage : Samson et le lion, Caïn et Abel, Daniel dans la fosse aux lions...

Pavie chapiteau de la crypte

 

1 Source bibliographique pour cet article : Sandro Chierici, Lombardie romane, Zodiaque, 1978.

2 Jacques de Voragine, La Légende Dorée, Diane de Selliers, Vol. 2, p. 183, 2000 [vers 1260]


En septembre 2014

Écriture 14 juin 2024