Cette sensation d’abord peut-être d’une présence qui nimbe les jours, celle des visages bien sûr, mais aussi des lieux, des paysages d’humanité. Et que cette présence se nourrit d’une mémoire grande, celle des lointains de l’espace et du temps, celle des traces précaires, les œuvres, les images…
C’est de l’autre côté de la maison, sa parcelle de jardin qu’il bêche à la main, dans la patience.
Ces chemins du vivant croisent l’écriture, notamment poétique, l’approche des images et du textile, la rencontre des œuvres, et la trame du temps.
L’homme est petit, râblé. De la casquette, des mèches de cheveux blanchis depuis tant d’années disent le temps de ce corps rivé à la terre aussi loin que porte la mémoire.
Le temps lointain
que la mémoire garde vague après vague
Je regarde la cour. Et le jardin qui la prolonge. Et plus loin, les champs où les céréales bientôt vont grandir. Que passe-t-il entre les mots, de la présence, du tissage de la vie, qui dépassent ce qu’ils décrivent ?
Je roule avec mon cousin, nous sommes partis ce matin, nous avons passé Niort. Chacun sa mobylette comme on dit alors, les sacoches pleines et les bagages à l’arrière.
Bien des fois, je me suis interrogé sur cette filiation, au moins étymologique, entre texte et textile.
Quand c’est la nuit contre la nuit, le corps se tend,
le corps s’agrippe à lui-même, il cherche dans l’ombre
On part de la maison. Quelques pas, et la grande corolle des branches, au-dessus de nos têtes, qui se sont rejointes pour les bienfaits de l’ombre d’été.
C’est mon grand-père, penché dans l’atelier de peinture au bout de la cour. Il a déjà peint à plusieurs couches le grand panneau de bois.
Deux chercheurs d’exception, deux enquêtes agrégeant l’histoire, l’anthropologie, l’archéologie, une étude fouillée des sources, qui révèlent des faces singulières de la Bible et du Coran.
Son corps s’est un peu replié avec le temps, elle a passé le siècle maintenant mais elle marche “ encore sans canne dans la maison ”, et d’elle émane l’extrême bienveillance de celles et ceux qui ont nourri si longtemps le temps des vies.
“ J’ai préparé les bois de châtaigniers, pour l’armature. On prendra peut-être du jeune frêne aussi, encore souple, et l’osier pour la garniture ”.
Nous avons commandé un pommier, une demi-tige, pour qu’on ait des fruits avant de mourir, dis-tu.
Quelques jours à Istanbul, pour éprouver cette mêlée des cultures qu’on pressentait, mais qu’on n’a rencontrée nulle part ailleurs.
C’est dans l’hiver, après les nuits longues où les corps s’engourdissent. C’est après l’insensible moment des attentes, quand le corps reste reclus, forgé sur lui seul. Quand tout semble étal, enclos sur soi, quand on ne sait plus ce qui pourrait nous délivrer.
Qu’ai-je à puiser dans le lointain du temps qui ferait comme une eau claire pour ces temps-ci des vies ?
Je rouvre ce livre de Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île, publié il y a soixante ans, mais que j’avais acheté le 2 septembre 1970, à Nantes – c’est noté sur la page d’entrée.
Cela a commencé par la faillite de la Grèce, berceau de notre culture occidentale.